Stravaganza

Un fil tendu. Un cordon d’une finesse inimaginable, qui fend l’espace et le temps.
Dans un océan de bruit et de matière grouillants, dans cette immensité d’échos, d’éclats de voix et de verre, les petits pieds de l’extravagance errent sur un sentier ténu.
Certains sont aveugles, certains sont perdus.
Extra, intra, ambivertis. Alcooliques, insomniaques, allergiques à l’ennui.
Dans un flot fracassant, ils naviguent à vue,
À tâtons dans les ténèbres,
À bout de forces, à flux tendu.
Zouaves et jongleurs parmi les sociétaires,
Les cadres, les travailleurs, les sérieux,
Ces clowns en uniforme, ces arlequins en queue de pie,
Ces bouffons du roi dans la cour des nobles,
Chagrinent leurs émois et rient de leur détresse.
Existences gênantes, personnalités fracassantes,
Humanistes en bout de course ou solitaires intempestifs,
Les pestiférés de la société-crasse sont pourtant d’une beauté singulière.
Ils planent, superbes et froissés, surplombent la brume du monde,
Plumes fragiles, tantôt bavardes, tantôt taiseuses,
Conservent le sourire comme baume sur leurs ailes qu’on brise,
Avancent, faisant fi de la souffrance qu’on attise.
Qu’importe les jugements, les huées, le rejet,
Le bouffon du roi sait bien que ce fil tendu est éternel
Qu’il plane sur le vide et que quoi qu’il fasse,
Son pied glissera de ce doux équilibre
Pour s’égarer et choir dans l’abysse de l’oubli.
Mais qu’importe, tant que le pas se tient,
Tant que l’air emplira assez les poumons du fou,
Tant que la tonicité animera les muscles de sa gymnastique,
Il avancera, têtu, agité et fiévreux,
Vers la beauté, l’idéal, la flamboyance des cieux.

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© PARO